Peut-on réellement croire que les murs nous protègent ? Le retour au Moyen Âge avec ses forteresses, ses murailles, ses anathèmes, sa misérable autarcie, n’est pas une option, juste une illusion dangereuse.
Vouloir à tout prix se protéger de l’Autre, c’est se condamner à la prison. Notre identité, ce n’est pas ce ramassis d’habitudes et de coutumes, ces soi-disant valeurs dans la pureté illusoire desquelles certains sont tentés de nous enfermer. Notre identité, c’est notre humanité, avec toutes ses variantes et ses déclinaisons, ses croisements, ses héritages de toutes les couleurs.
Je ne suis moi que parce que je suis aussi l’Autre. La langue que je parle est une bâtarde, ma nourriture, tant quotidienne que gastronomique, prend ses racines aux quatre coins d’un monde que mes ancêtres ont asservi et pillé, le Dieu dont se réclament nombre de mes concitoyens est né en Palestine, les connaissances qui m’aident – un peu – à comprendre le monde ont été élaborées bien loin du lieu où je vis aujourd’hui, je ne connais mes ascendants que sur deux générations, et tous ne sont pas d’ici.
De quel droit pouvons-nous refuser à d’autres de partager une prospérité bâtie avec leur sang et leurs larmes ? De quel droit pouvons-nous expulser un malade sous le fallacieux prétexte qu’il est né loin d’ici ? Comment pouvons-nous en même temps refuser d’accueillir « toute la misère du monde » tout en l’organisant à grande échelle et sans le moindre scrupule ?
Non, les murs n’ont aucun sens, ni la course effrénée à la richesse qui tue les âmes et les corps. Ce qui sauvera ce qui peut l’être de notre monde en perdition, ce sont les ponts, les chemins de traverse, les rencontres. Ce qu’il faut combattre à tout prix, ce ne sont pas les Autres et leur prétendue invasion, mais nos peurs et nos égoïsmes forcenés.
Bisounours ? Peut-être, mais au point où nous en sommes, à part le rêve, quelle piste suivre ?