Quand j’ai initié ce blog, j’avais le sentiment d’une situation globalement dégradée, peu propice à l’optimisme. Un peu plus d’un an plus tard, le doute n’est plus permis: les motifs d’indignation et de crainte, naguère encore épars, étendent chaque jour leur nappe nauséabonde.
En Belgique, d’abord: comment croire encore en un monde politique capable de nous mener vers un avenir, sinon radieux, du moins supportable ? Les affaires de corruption, de cumul de mandats, de rémunérations extravagantes, se multiplient du haut en bas de l’échelle, pendant qu’on sabre allègrement dans les budgets sociaux et culturels, en criant haro sur l’étranger, le pauvre, l' »autre« . Il reste à espérer que ce ne soit qu’une étape: l’Histoire est pleine de ces épisodes de déclin, alternant avec des périodes de prospérité et de progrès.
La Fontaine déjà, il y a quatre siècles, croquait notre situation dans ses « Animaux malades de la peste »:
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
A chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d’amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J’ai dévoré force moutons.
Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
– Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d’honneur.
Et quant au Berger l’on peut dire
Qu’il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Ane vint à son tour et dit : J’ai souvenance
Qu’en un pré de Moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
En Europe, ensuite: les extrêmes qui ne cessent de progresser un peu partout, les égoïsmes nationaux ou régionaux exacerbés du brexit à l’ouest à la dérive autoritaire polonaise à l’est, le traitement indigne réservé aux rescapés de l’enfer, l’abandon des leviers de commande aux forces financières multinationales, tout cela fait froid dans le dos et ne présage vraiment rien de bon.
En Afrique et en Asie, où les guerres civiles, les massacres, les mouvements pseudo religieux ne servent qu’à exalter les plus bas instincts de leurs séides.
En Amérique enfin, déchirée entre un Sud empêtré dans une situation économique catastrophique et un Nord qui vient de se donner pour chef un bouffon de la pire espèce.
La tache d’huile s’étend sur le monde, les humains déboussolés ne savent plus à quel saint se vouer et ont une fâcheuse tendance à plutôt choisir des démons que plus personne ne pourra contrôler. Dans ce marécage nauséabond, il nous reste à tenter de ne pas nous noyer, à nous donner la main, à dénoncer sans faiblir l’argent fou, l’égoïsme suicidaire et la fureur des extrémistes, à nous construire les îlots d’humanité qui, un jour, donneront naissance à une ère nouvelle.