La Belgique francophone est en train d’accoucher, non sans peine, d’une réforme importante de son système scolaire: elle l’appelle « Pacte pour un enseignement d’excellence«
Manifestement indispensable, cette volonté d’améliorer la qualité de l’enseignement se heurte, dès le départ, à quelques écueils prévisibles: lourdeur administrative, résistance naturelle au changement, statuts des enseignants, idéologies divergentes, …
Le grand mérite de ce – futur – pacte est d’avoir refusé une imposition par le haut, et privilégié une approche concertée de toutes les parties prenantes. Malheureusement, à l’arrivée, on se retrouve avec un compromis qui ne satisfait pleinement personne, chacun faisant savoir qu’il restera « attentif » à la sauvegarde de ses intérêts. Bref, et hélas, l’immobilisme, si j’ose dire, est en marche.
Ce qui manque à ce pacte, ce n’est ni la volonté d’amélioration, ni l’imagination pour de nouveaux modes de fonctionnement. Pourtant, si nécessaires qu’ils soient, ceux-ci ne suffisent pas.
Ce qui manque à ce pacte, c’est une vision consciente de la société dont l’école, immanquablement, est le reflet, et une véritable réflexion sur le fondement même de l’enseignement, la relation pédagogique entre l’apprenant et l’enseignant.
Le cadre: une société libérale.
Une société de plus en plus libérale, dans le sens économique du terme, qui met un accent prononcé sur la concurrence, la performance, la consommation, le profit, qui ne recule devant aucune forme d’exclusion, ne pourra produire une école égalitaire, attachée au développement harmonieux de chacun, capable d’assurer à tous une place utile.
Quand le pacte dit vouloir assurer
la qualité de l’offre d’enseignement, des compétences et savoirs offerts à chaque élève et adaptés aux besoins de la société du 21e siècle
l’objectif est plus de fournir une main d’oeuvre prête à l’emploi que d’insérer harmonieusement tous les jeunes dans une société qui, au final, rejettera les plus faibles.
Quand le pacte dit qu’il
ne visera pas seulement le renforcement de la performance des apprentissages mais aussi le renforcement de la passation des valeurs personnelles et collectives dont les jeunes auront besoin pour construire une société humaniste telles que le respect de soi et de l’autre, le respect de la diversité des histoires personnelles, des convictions et des origines culturelles de tous, le sens de l’engagement et de la responsabilité, de la solidarité, de la générosité, le sens de l’effort, de la liberté, de la créativité et de l’esprit d’entreprendre.
ses auteurs se rendent-ils compte qu’ils vont ainsi à contre courant de la société, et singulièrement de la vision idéologique de ses dirigeants tant politiques qu’économiques ?
Les exemples ne manquent pas de cette « société humaniste » qui se déshumanise, réduisant ses membres, et singulièrement les plus faibles, à des objets de statistiques, des problèmes ou des parasites. (Bureau de chômage, Les uns sans les autres, Impitoyable , … ) La lutte contre l’échec, le redoublement et le décrochage scolaire est vue moins comme une démarche humaniste visant à assurer le développement harmonieux des personnes et à éviter stress, découragement et, trop souvent, désespoir, que comme la nécessité économique de faire baisser les coûts. Quant au « respect de la diversité des histoires personnelles, des convictions et des origines culturelles de tous« , il suffit d’ouvrir un journal pour comprendre que ce n’est pas le cheval de bataille des instances qui mènent notre société.
Les – bonnes – intentions des auteurs du pacte sont donc peu ou prou vouées à l’échec, sauf à imaginer de faire des différentes parties prenantes de l’enseignement des facteurs de révolution sociale. Mais on sait que, par nature, une révolution n’est pas institutionnelle. La plupart des intervenants, à l’intérieur comme à l’extérieur du système scolaire, sont plus ou moins imprégnés de la culture productiviste ambiante. Le mérite d’avoir formulé des intentions reposant sur des valeurs humanistes n’en est que plus grand … ou plus hypocrite.
Notre école va donc probablement réformer une partie de son fonctionnement; elle restera néanmoins un élément important de reproduction des inégalités sociales et économiques tant que ce ne sera pas à ces inégalités que l’on s’attaquera.
Les conditions: la relation d’apprentissage.
Autre caractéristique, le pacte n’aborde qu’en termes très – trop – généraux les caractéristiques de la relation d’apprentissage.
L’apprentissage est un processus qui relève de l’intime, profondément lié aux émotions, dont on sait que les enfants et adolescents débordent. L’enseignant, quant à lui, ne peut être réduit à une simple courroie de transmission, une « machine à enseigner » privée d’affects. S’en tenir à des aspects techniques sans aborder de front les conditions affectives dans lesquelles se déroulent les apprentissages, c’est courir à … l’échec scolaire.
Que les tenants de l’effort et de la discipline se rassurent: ceux-ci sont tout aussi nécessaires. Mais leur mise en oeuvre est subordonnée à deux conditions trop souvent négligées, la conscience du sens de l’apprentissage et le plaisir qu’il procure.
Le sens de l’apprentissage, les adultes le voient généralement, même s’il n’est pas le même pour tous. Mais c’est aux yeux des enfants et des adolescents que l’apprentissage doit faire sens, et là on peut dire que la bât blesse. Quand l’adulte voit la vie avec le recul des années, l’expérience, la réflexion acquise au fil du temps, l’enfant et l’adolescent sont dans l’immédiateté. Croire que l’on peut donner du sens à un apprentissage en disant à l’enfant ou à l’adolescent: « C’est pour ton bien, c’est pour ton avenir, tu comprendras plus tard, quand tu seras grand », ou pire: « C’est comme ça, tu dois, c’est la vie », c’est le mettre dès le départ dans des conditions défavorables. L’alpiniste qui escalade une montagne, le maçon qui construit une maison, le médecin qui suit une formation ardue de spécialiste, le pensionné qui retourne sur les bancs de l’école, ils savent pourquoi. L’enfant qui doit apprendre le théorème de Pythagore, l’accord du participe passé ou les capitales du monde ne voit ni où ça le mène, ni pourquoi on le lui impose. Et donc, souvent, renâcle, ne cherche pas à atteindre cette « excellence » dont se gargarise le pacte, et trop souvent abandonne. Des efforts, il est pourtant capable d’en produire, et de sérieux, mais il faut, impérativement, lui en donner les moyens. On appelle ça la motivation, mais en se contentant trop souvent de constater que l’élève en manque, sans vraiment chercher à la développer.
Lier l’apprentissage au plaisir, c’est s’assurer que l’enfant mettra en oeuvre un maximum de ses ressources. Là où la contrainte se révèle très souvent inefficace, la recherche du plaisir peut faire franchir des montagnes. Nier à l’enfant le droit au plaisir d’apprendre, c’est se priver d’un des leviers les plus puissants, de nombreux tests sur de nombreuses espèces animales, homme y compris, le prouvent abondamment. Ne pas utiliser ce levier, c’est organiser les difficultés d’apprentissage.
Pour l’enseignant, dans des modalités différentes, le phénomène est identique: un enseignant qui ne voit pas le sens de ce qu’il enseigne, qui n’éprouve pas de plaisir dans sa pratique, est forcément inefficace. Et le cercle vicieux infernal s’enclenche, élèves peu motivés qui démotivent l’enseignant qui, à son tour, omet de donner sens et plaisir à son enseignement.
On touche là le fondement de la relation pédagogique, la condition qui favorisera à tous les coups une qualité d’apprentissage maximale: la nécessaire complicité entre enseignant et apprenant, dans une relation de confiance réciproque. Hélas, cela ne se décrète pas. Mais cela peut s’organiser, s’apprendre, se transmettre. Plutôt que de miser sur un investissement plus ou moins massif dans les structures, un pacte qui se voudrait efficace devrait viser avant tout à une formation intensive de tous les enseignants, durant toute leur carrière, aux pratiques relationnelles favorisant des conditions d’apprentissage efficaces. En utilisant évidemment ces pratiques: quand il apprend, un enseignant est un apprenant comme un autre et a, comme tout apprenant, un immense besoin de sens et de plaisir. Il faut apprendre aux enseignant à ne pas seulement dispenser un savoir, ou un savoir-faire, mais aussi, mais surtout, à être des vecteurs de sens et de plaisir. Les adaptations de structure, immanquablement, suivront.
Une utopie ?
Des expériences, des exemples, des tentatives existent çà et là, malheureusement toujours isolées, et ne donnant pas lieu à une réflexion globale sur l’enseignement. Malgré les succès manifestes engendrés par ces tentatives isolées, notre société reste braquée sur ses paradigmes idéologiques … et son école aussi.
Un « pacte » ne s’attaquant qu’à des structures et négligeant les fondements de la relation pédagogique, par ailleurs inscrit dans un contexte idéologique libéral, n’a que très peu de chances d’atteindre une quelconque « excellence ».
Dernière mise à jour le 9 mois par André