J’avais à peine fini de rédiger le billet précédent que la nouvelle me parvenait de tous les coins du monde: le parlement danois a fini par adopter à une très large majorité la loi infâme qui permet de dépouiller les demandeurs d’asile. Pire encore, c’est à cette occasion que j’ai appris que la Suisse et deux länder allemands s’adonnent déjà aux mêmes pratiques nauséabondes.
Voilà qui jette un seau d’eau glacée sur les petites pointes d’optimisme dont je me faisais l’écho récemment.
En France, LE MONDE et L’OBS, en Italie, LA REPUBBLICA, en Espagne, EL PAIS, en Colombie, EL TIEMPO, aux Etas-Unis, THE WASHINGTON POST, pour ne citer qu’eux, la presse en parle, relayant souvent les nombreuses critiques.
A Bruxelles, au Parlement Européen, c’est l’ancien commissaire belge Louis Michel qui force le respect par la véhémence et l’authenticité de sa réaction.
Mais rien n’y fait: les voix xénophobes, les partisans du rejet, quand ce n’est pas juste de la haine, gagnent du terrain. Partout, des initiatives de caniveau voient le jour, sous prétexte de quelques malheureux (et évidemment punissables) actes violents ou simplement inadéquats. Comme à Coxyde où un incident probablement sans gravité (sur plusieurs centaines de candidats réfugiés hébergés au centre d’accueil Fedasil) provoque la proposition du bourgmestre d’interdire l’accès à la piscine à tous les réfugiés ! Heureusement le bon sens finit par l’emporter, mais c’est une goutte de poison supplémentaire instillée dans notre malheureux corps social.
Face à ce déferlement, les gestes de solidarité, pourtant nombreux, restent trop souvent dans l’ombre, le terrain médiatique occupé par les provocations extrémistes.
Chaque semaine, dans un centre d’accueil, je rencontre de ces gens venus des quatre coins du malheur, avec force et espoir. Avec aussi dans leur bagage un fatras d’idées toutes faites, souvent fausses, parfois farfelues, avec des coutumes et des langues toutes différentes. Entassés dans leur centre d’accueil provisoire, sans savoir pour combien de temps, ils finissent par former une communauté improbable, avec ses hauts et ses bas, ses conflits et ses moments de joie, ses amitiés et ses rancoeurs. Et je cherche encore les dangereux envahisseurs, terroristes, agresseurs …
Alors, pour tenter de donner un peu de voix à ceux qui n’en ont pas (encore), voici le témoignage d’un enseignant belge, parlant au nom de ces élèves, mineurs non accompagnés, que leur famille, leur village a envoyés vers nous, dans l’espoir d’ « en sauver au moins un ».
Bonjour, ça va ? Je m’appelle Agid (prénom d’emprunt), j’habite au centre Croix Rouge. J’ai 15 ans. Je viens d’Afghanistan. Je vais à l’école depuis le 16 novembre 2015.
Permettez-moi de laisser mon professeur croire qu’il peut imaginer qu’il sait traduire mes pensées et ce que j’aimerais vous dire.
Ecouter, répéter, dire, parler, ne pas bavarder, dessiner, colorier, souligner, entourer, lire des lettres, écrire des mots, coller, découper, être attentif à tous ces sons que je ne reconnais pas……..imiter, chercher à comprendre encore et encore….
Voilà le travail de chaque jour avec mes treize compagnons. Nous sommes si motivés que parfois nous nous étonnons de ne pas pouvoir apprendre plus vite.
Parfois, j’ai la tête qui tourne, les mots du professeur résonnent, tournoient, se mélangent et me fatiguent. Je ne sais pas encore raconter ce qu’était ma vie avant de venir ici. Je ne comprends pas pourquoi je dois éteindre mon précieux portable et les nouvelles espérées. Je me sens fatigué, j’aimerais aller prier comme avant, juste un instant pour me retrouver. Ce n’est pas possible à l’école. Je ne comprends pas pourquoi. On me dit qu’on m’expliquera….. Après.
Il y a eu la fête de Saint Nicolas avec beaucoup de bruit, les grimages et des bonbons reçus.
A l’entrée du bâtiment A, des personnages en bois se donnent la main devant des alphabets d’un peu partout. J’aime bien quand on me serre la main.
Dans la cour, certains élèves me disent bonjour, essayent de me parler. Il arrive qu’un professeur que je ne connais pas encore me sourie ou dise quelque chose . Je me sens bien accueilli, je regarde beaucoup, on me regarde aussi…… j’ai déjà retenu quelques prénoms….Et même un mot crié….. Le professeur dit que je ne peux pas le répéter…….
Quand il ne pleut pas, avec le petit soleil d’ici, je m’installe devant le bâtiment B comme on dit. On discute, on observe. Je ferme les yeux, je profite de la douceur, je rêve,….A Kaboul,tout autour, dans les montagnes la neige est venue. Beaucoup de neige.
L’autre jour, en classe, nous avons dessiné notre maison. J’ai montré les Talibans qui tiraient tout autour, mon père dans la « jungle », moi qui courais là-bas dans les montagnes. Le professeur m’a regardé dans les yeux. Il ne peut pas comprendre. Je ne sais pas lui expliquer. On s’est souri. En attendant, peut-être, de dire.
Ouf, comme le chemin est encore long avant de savoir comment me débrouiller dans ce grand bazar. Je suis jeune, je me sens courageux. Il le faut. Je me réjouis de pouvoir m’expliquer, marcher dans la rue, rouler à vélo, écrire, comprendre, trouver des amis, contacter ma famille, apprendre un métier, vivre comme tous les jeunes qui ont une existence normale.
Nous sommes 14 élèves en classe, onze viennent d’Afghanistan, deux d’Albanie, un du Pakistan et un du Soudan. Nous espérons trouver ici une école pour vivre et apprendre. Nous ne savons pas encore ce qu’est l’esprit de Noël. S’il est vrai, nous l’aimerons comme vous et tous ceux qui, partout, aspirent à la douceur de vivre ensemble.